Bibliothèques et stratégies urbaines de résilience : un compte-rendu
Aujourd'hui, je laisse le blog à mes élèves du master PBD, et plus exactement à Florise Hortal, Clémentine Nouvian, Lucine Hugonnard, Loanna Pharose, Cécile Gautier, qui ont rédigé un compte-rendu de la journée d'étude du 29 janvier 2021 : "Villes en crise : mais que fait la bibli ? Bibliothèques et stratégies urbaines de résilience".
Le texte de compte-rendu est illustré par les sketchnotes réalisées en temps réel par Manuka pendant la journée d'étude.
A la fin de ce texte, vous trouverez des liens vers des bibliographies et guides thématiques.
Introduction
La notion de résilience peut s’appréhender sous différents angles : étymologiquement, il s’agit d’un « rebond vers un état antérieur » (Bénadent, 2020). La résilience interroge la gestion de la crise, du traumatisme. Ce bond en arrière est en fait souvent un bon en avant, un mécanisme de dépassement : il signifie un retour à la normale qui consiste en une adaptation perpétuelle au changement (Cyrulnik, 2020). Comme il s’agit d’un processus évolutif, la résilience dépend du contexte dans lequel elle s’inscrit. L’année 2020 qui vient de se clore a cumulé l’urgence climatique, l’épidémie du Covid-19 et la crise de la gouvernance, ainsi que toutes les tensions sociales qui accompagnent ces fractures. Cette année ne cache pas son besoin de résilience. C’est pourquoi la promotion PBD de 2020-2021 a choisi ce thème. Nous souhaitions examiner la contribution des bibliothèques à la résilience dans leur contexte sociétal et urbain.
Dans le cadre de cette journée d’étude du 29 janvier 2021, nous nous sommes interrogés sur les points suivants :
Les bibliothèques ont-elles à participer à la résilience des villes ? Est-ce vraiment leur rôle ?
Comment les bibliothèques participent de la démarche résiliente des villes ?
Comment les bibliothèques s'adaptent pour offrir un accueil de qualité, des bâtiments écologiques ?
Comment trouvent-t-elles une nouvelle place sur le territoire au travers d’une dynamique qui leur est propre, tout en s’inscrivant dans un champ d’action plus large ?
Quelle différence dans les approches bibliothéconomique selon le territoire ?
Quel rôle pour la bibliothèque dans la repolitisation de la notion de résilience ?
Autant de questions abordées au cours d'une matinée bien évidemment trop courte pour obtenir toutes les réponses à ces interrogations. Toutefois, avec l’aide et la contribution de nos intervenants, Chloë Voisin-Bormuth et Pascal Desfarges, Vincent Veschambres et Sébastien Maire, Sophie Bobet, Johanna Ouazzani et Mélissa Lalouette, avec notre dessinatrice Manuka et tous nos invités, nous avons esquissé ensemble un portrait de la résilience par et pour les bibliothèques.
Cette matinée, pensée en trois temps, a débuté par des propos introductifs de la part de la directrice de l’ENSSIB, Nathalie Marcerou-Ramel, et du directeur du réseau de lecture publique de Villeurbanne, Jean-Baptiste Corbier. Jean-Baptiste Corbier et Nathalie Marcerou-Ramel nous ont adressés leurs remerciements. Ils ont fait part de leur soutien à l’initiative étudiante. Jean-Baptiste Corbier a également noté la pertinence de notre sujet, car toutes les bibliothèques sont touchées par la résilience.
1ère rencontre : La résilience, késako ?
Intervention 1 : Chloë Voisin-Bormuth, « Les processus de résilience dans les villes »
Chloë Voisin-Bormuth est actuellement directrice des études et de la recherche à la Fabrique de la Cité, un Think tank (groupe de réflexion privé qui produit des études sur des thèmes de société) créé en 2010 et consacré à la prospective urbaine. Ayant plusieurs doctorats (en géographie, urbanisme et sociologie), elle possède une spécialisation en aménagement des espaces publics et développement territorial.
Définition du terme
Pour Chloë Voisin-Bormuth, la résilience est la capacité d’un système à résister à un choc, à rebondir et à retourner à un état d’équilibre. Pour voir aboutir ce processus, il faut changer l’approche du risque que l’on a habituellement, penser à amoindrir à la fois le choc et l’onde de choc, ce qui nécessite une approche coordonnée sur le long terme.
En effet, lorsqu’un choc brutal survient (une situation d’urgence ponctuelle, par exemple), celui-ci peut s’avérer très mobilisateur sur une courte durée. Cependant, lorsque le choc s'installe sur le long terme (une crise économique et sociale), il est nettement moins mobilisateur. Tout le défi réside donc dans le fait de rester mobilisé après l’urgence en dépit de la latence susceptible de s’installer.
La ville, quant à elle, est un système particulier. Elle est à la fois un enjeu et un facteur de risques ; un enjeu à protéger donc, mais aussi l’acteur et l’influenceur même de la résilience urbaine et des traumatismes (pollution, crises, etc). Il est de notoriété publique que les espaces urbains aggravent le changement climatique. Les villes offrent à la fois la bonne échelle pour le développement d’une stratégie de résilience, vis-à-vis de la gouvernance, mais aussi suffisamment d’acteurs pour y participer. Dans cette période de changements majeurs surplombée d’une accélération des phénomènes de crises, la population est le principal témoin des évolutions entreprises.
Les réactions face à la crise
Face à ces crises, qui sont complexes à gérer (les menaces globales ayant des impacts locaux), on observe généralement deux attitudes parfois contradictoires des acteurs :
- Mettre en place une stratégie de résistance dans la non-acceptation du risque, c’est-à-dire le fait de développer un idéal de maîtrise face à une situation trop complexe. Il est inutile de développer une stratégie face à quelque chose que l’on ne maîtrise pas, il serait ainsi plus pertinent de se laisser faire et de s’adapter.
- Accepter le risque et faire de la résilience une nouvelle voie, c’est-à-dire montrer qu’il est possible d’agir et de ne pas juste sauver les meubles. On arrive à la fois à dépasser l’ambition du risque zéro et à questionner la perte. On l’oublie souvent, mais il y a dans la notion de résilience la certitude que l’on va perdre quelque chose. Il faudrait ainsi discuter collectivement de ce qu’on accepte et de ce qu’on refuse de perdre, car tout ne peut pas être protégé.
L’idéal serait de marier stratégie d’adaptation et résilience pour pouvoir penser en amont de la crise, pendant et après. On mettrait donc en place un concept opérationnel, mobilisateur et fédérateur sur le très long terme. Attention toutefois, car plusieurs présupposés sont nécessaires pour une application de cette stratégie de résilience :
- Toujours s’interroger sur qui a la maîtrise du discours. Le choc n’est pas ressenti de la même manière dans les différentes franges de la population, et le discours public ne peut refléter que le ressenti de ceux qui détiennent la parole. Par exemple, à La Nouvelle-Orléans, dix ans après l'ouragan Katrina, on aurait tendance à dire que la ville s’est relevée mais en réalité, les inégalités sont restées les mêmes. Le discours de résilience est tenu par la frange aisée de la population ; les populations des quartiers noirs les plus exposés affirment quant à elles que la Nouvelle-Orléans ne s’est toujours pas relevée de ce désastre.
- Dépasser le côté normatif et moral : cette idée de « se relever pour devenir meilleur », soit la notion que s’effondrer et ne pas arriver à se relever n’est pas une bonne chose.
- Casser l’idée que la résilience est un mode d’emploi qu’il suffirait de suivre, ce qui est complètement faux. Parfois la résilience, c’est aussi improviser, trouver un nouveau chemin. Par exemple : le cas de l’amerrissage de l’US Airways 1549 traité dans le film Sully, avec Tom Hanks. Si le capitaine avait suivi tous les protocoles, l’avion se serait très sûrement crashé. Il est parfois salvateur de s'appuyer sur la force de l’humain pour inventer un nouveau modèle.
L'opérationnalité du concept sur le terrain
Chloë Voisin-Bormuth propose deux exemples concrets de la résilience en pratique :
- Dans la ville de Pittsburgh, les élus ont décidé de réfléchir à la politique de mobilité comme autre chose que le fait de transporter quelqu’un d’un point A à un point B, c’est-à-dire dans une perspective de résilience. Ils ont réfléchi à comment faire en sorte que les personnes réussissent à monter l’échelle sociale en satisfaisant leur besoin de se déplacer de façon éco-responsable, tout en pouvant se nourrir correctement pour être en bonne santé (avoir accès à des légumes frais en n’utilisant pas de transports polluants, par exemple).
- Dans la ville d’Hambourg, il y avait une problématique d’immigration. Au lieu de construire des logements d’urgence rapidement, les élus sont partis du postulat suivant : « Ces personnes sont arrivées chez nous, et elles vont rester. Que pouvons-nous faire pour que tout se passe bien ? » Ils se sont ainsi plutôt interrogés sur les problématiques de logement au sens large, et ont finalement mis en place une politique de logements abordables en dur pour tout le monde (population allemande et population immigrée comprise).
À la fin de son intervention, il est demandé dans un premier temps à Chloë Voisin-Bormuth si les personnalités politiques s’étaient véritablement appropriées le terme de résilience et si elles le maîtrisaient. De son point de vue, le terme est utilisé mais malheureusement beaucoup d’acteurs utilisent la notion sans trop la comprendre. La notion de processus à très long terme est encore oubliée, les élus déclarant ainsi trop facilement qu’une ville est résiliente. D’un autre côté, il s’agit d’une notion mobilisatrice, car elle envisage de pouvoir faire face à l’incertitude d’une façon organisée et sur le long terme.
Dans un second temps, Raphaëlle Bats questionne notre intervenante sur la définition du choc. Comment, dans une ville ou dans une institution, peut-on travailler à définir collectivement ce qui fait le choc ? Selon Chloë Voisin-Bormuth, il existe en réalité une dimension objective du choc qui se voit (les dégâts matériels) et qui est constatable par tous, mais l'ampleur du choc est encore différente selon les populations. La notion de collectif est en effet bien illustrée par l’exemple de la ville de Hambourg, avec l’organisation de discussions dans chaque quartier et avec des questions comme « Où va-t-on pouvoir construire des logements ? », et « Quels sont les besoins de première nécessité des réfugiés ? ».
Sketchnote de Manuka pour l'intervention de Chloé Voisin-Bormuth |
Intervention 2 : Pascal Desfarges, « La bibliothèque sociale et les connaissances comme un soutien à l’économie du territoire et à la résilience : entre civisme et résilience ? »
Pascal Desfarges est directeur d’une structure de valorisation des territoires, le RETISS (technologies émergentes et territoires collaboratifs). Spécialiste de la question des tiers-lieux, il se présente comme un « exo-bibliothécaire », un non-bibliothécaire hybride intimement investi dans le milieu documentaire qui accompagne les bibliothèques dans leur valorisation à l’échelle territoriale et urbaine depuis plus de vingt ans.
Lorsqu’on lui demande ce qu’est la bibliothèque, Pascal Desfarges répond qu’il s’agit d’un lieu alternatif aussi divers que le terme de tiers-lieu, mais aussi un lieu profondément civique. Les bibliothèques ont la capacité de réagir et de résoudre les problèmes qui se posent à elles, à l’échelle étatique mais aussi citoyenne. Dans un contexte de crise, elles rejoignent et corroborent le principe de résilience en acceptant l’incertitude, en inventant des solutions techniques aux problèmes. Elles lancent des actions qui permettent non seulement de résoudre certaines crises sociales, mais aussi de pallier les incapacités de l’État.
La bibliothèque résiliente est donc une bibliothèque qui zoome sur les grands axes de la citoyenneté. C’est une infrastructure de connaissances qui permet aux usagers de se réapproprier les enjeux sociaux contemporains en s’impliquant dans une politique documentaire qui se veut transmédiatique. Plus précisément, elle nous aide à comprendre les sujets d’actualité et leurs impacts dans nos vies, qu’il s’agisse des paradigmes numériques, du capitalisme cognitif, du développement constant des sciences, de la géopolitique environnementale, de la notion omniprésente d’anthropocène, de l’écologie ou encore du terrorisme.
Bibliothèques, civisme et territoire
La bibliothèque induit la notion de ville intelligente vis-à-vis des citoyens, qui constituent le cœur de l’intelligence de la ville. À l’heure du changement climatique, elle se construit autour de cette intelligence territoriale mais aussi de deux autres axes majeurs : la résilience urbaine et citoyenne et l’idée de tiers-lieu en France, ce phénomène social qui fait des bibliothèques des lieux d’actions et de démocratie.
Depuis maintenant une dizaines d’années, les bibliothèques sont un lieu de dialogue, des endroits où la démocratie délibérative est portée par le concept de tiers-lieu dont l’impact a été, Pascal Desfarges le souligne avec insistance, considérable à l’échelle des bibliothèques mais également des musées, des associations etc. Ce concept, qui se diffuse de plus en plus à l’échelle nationale, incite le citoyen à agir sur son territoire mais également à le produire, à le réinventer. Il y a là une image de gouvernance citoyenne, une configuration sociale du lieu. Cette notion favorise l’interaction entre les usagers et pose la bibliothèque comme le moteur d’une communauté interactive ancrée dans le réel, dans laquelle nous avons la capacité de construire des biens communs différents des biens publics déjà existants. Mutualisation et réseaux, Wikipédia et VLC… Cela passe aussi par une économie circulaire de médiation entre les biens communs, qu’ils soient numériques ou physiques.
Ce mouvement de partage des connaissances et de renouvellement des bibliothèques, porté notamment par l’Open source libre de droit, s’appuie sur de nombreux exemples. On y retrouve l’idée d’une médiathèque co-construite avec ses usagers, où la structure rend un service civique à tous les citoyens en participant à un système d’inclusion sociale et de cohésion collective. Elle propose par exemple des innovations, telles qu’une cuisine mobile, ou elle renforce, comme au Pays Bas, la présence de la nature au sein de ses locaux. C’est un endroit vivant et ouvert à l’apprentissage des langues (à l’initiative du World Lab ou de conférences), un endroit sans cesse réinventé qui prend des décisions dans les territoires et qui peut dès aujourd’hui permettre de construire une économie écologique et politique durable, sociale et véritablement résiliente.
La résilience comme une résistance durable
Mais la résilience n’est pas seulement la capacité de surmonter un traumatisme ou un choc, c’est également un acte de résistance dont la bibliothèque peut être l’outil. Là où les bibliothèques sont fragiles ou détruites, on remarque l’émergence de Freedom Librairies qui permet aux populations afro-américaines de continuer à lire, à l’image de la Free Black Women Library dont le catalogue est entièrement consacré à cette thématique. La bibliothèque construit ainsi des savoirs locaux en mouvement, où la mémoire locale émerge et devient visible, mais où les enjeux mondiaux ont également leur place. Elle porte en elle des valeurs universelles. Elle plante le drapeau d’une psycho-géographie où la résilience locale s’organise comme un réseau de savoirs durables, en parallèle de notre conception de la bibliothèque traditionnelle (L’occupation du Monde, par Sylvain Piron, [s.d]). En cela, elle devient un lieu de refuge et d’action, un lieu qui réhumanise le monde, notamment lorsque l’on parle de problématiques d’immigration ou de résilience urbaine.
La bibliothèque résiliente est finalement celle qui n’est jamais figée dans des certitudes. C’est un endroit riche en ressources, porteur à la fois de mémoire et d’avenir. Il fait partie d’un futur qui s’organise déjà, comme le montre l’initiative de la Future Library de l’écossaise Katie Paterson, en Norvège, dont les livres ne seront publiés qu’en l’an 2114 grâce au millier d’arbres plantés dans une forêt près d’Oslo. En résumé, les bibliothèques permettent de construire une culture de la résilience sur le long terme en nous aidant à prendre conscience des changements autour de nous, qu’ils soient écologiques, politiques, économiques ou sociaux. Elles offrent la possibilité de s’investir et, pour citer une dernière fois Pascal Desfarges, de « voir que toutes les idées du monde ne sont pas brevetables mais bien partageables. »
Sketchnote de Manuka pour l'intervention de Pascal Desfarges |
2ème rencontre : Villes et culture : et la résilience là-dedans ?
Intervention 3 : Sébastien Maire, « Les villes face aux crises »
Sébastien Maire est Haut responsable de la Résilience pour la Ville de Paris et délégué général de l’association France Ville Durable. Il nous offre une perspective politique et sociale sur la résilience urbaine et le rôle des bibliothèques dans ce système.
Les villes font face aujourd’hui à de nombreuses crises environnementales et sociales. Elles connaissent notamment un délitement du tissu social, ce dernier constituant l'environnement social d’un individu. Face à ce constat, Sébastien Maire propose plusieurs leviers possibles à exploiter afin que les villes tendent vers un système résilient dans lequel les bibliothèques trouvent toute leur place.
Les leviers de la résilience urbaine
Le premier levier de résilience est celui de la sobriété : foncière, climatique, numérique, énergétique… Cette sobriété est antinomique avec les objectifs de développement et notamment de développement durable. Les logiques de smart city, qui veulent que la vie en 2050 soit la même qu’aujourd’hui mais en plus verte, sont incohérentes. Sébastien Maire avance l’idée que le cœur du problème climatique est de croire que les ressources sont inépuisables.
Le deuxième levier est celui de la cohésion sociale et du vivre ensemble. La logique de renforcement des occasions de faire des choses ensemble est un critère fondamental de la résilience. Il existe un degré de corrélation entre le niveau de cohésion sociale d’une société et le nombre de morts lors d’une crise. Au Japon par exemple, en cas de tsunami, les villages ayant des pratiques culturelles et sociales dynamiques comptent moins de décès que les villes où l’offre culturelle est pauvre et où règne l’insécurité.
Le troisième levier est une vision commune du futur. Aujourd’hui, il existe plusieurs visions radicalement opposées du futur. Il n’y pas d’accord commun sur les décisions politiques et cela empêche de se mobiliser pour établir des priorités. Afin de concilier au mieux les visions futures, Sébastien Maire plaide pour une connaissance commune de l’anthropocène et de ces enjeux, nécessaire à une démarche de résilience. Ces notions ne sont pas bien relayées, selon lui, dans les médias et dans les programmes de l’éducation nationale.
Et les bibliothèques, là-dedans ?
Les bibliothèques ont donc toute leur place dans la résilience des sociétés et des territoires. En effet, par leur maillage, leurs missions, leurs fonds documentaire, ces dernières peuvent avoir un rôle essentiel dans la diffusion de la connaissance de l’anthropocène et ainsi mettre en mouvement la société. Elles sont également des lieux de création de lien social, élément essentiel pour une société résiliente.
À la fin de son intervention, il a été demandé à Sébastien Maire lors de quelle étape de sa mission à la Ville de Paris il avait pensé à mobiliser des acteurs culturels et comment cela s'était concrétisé. Il explique qu’au départ, les acteurs culturels ne croyaient pas au concept de résilience. Les crises actuelles en ont fait par la suite un sujet central. La Ville de Paris s’est rendue compte que la résilience passait par des questions techniques (réseaux, énergie, eau) mais que cela ne suffisait pas. Il fallait que les habitants soient intégrés dans la réflexion sur les infrastructures et le cadre bâti, ainsi que dans la gouvernance. Les acteurs culturels se sont alors intéressés à une logique de protection du patrimoine face aux aléas.
Sketchnote de Manuka pour l'intervention de Sébastien Maire |
Intervention 4 : Vincent Veschambre, « Qu’est-ce qu’une ville résiliente ? »
Vincent Veschambre, directeur de recherche au Rize, a partagé avec nous une perspective mémorielle. Il met à profit son vécu d’habitant de Villeurbanne aussi bien que son expérience professionnelle pour nous présenter différentes façons dont les patrimoines représentent des ressources culturelles majeures.
La notion de résilience, apparue soudainement dans la langue française au XXe siècle avec Boris Cyrulnik, demande une appropriation. Elle s’est diffusée au-delà du champ psychologique au fil du temps pour désigner la durabilité des systèmes de manière générale. La ville, milieu d’habitation à l’échelle mondiale, est un système complexe dont la résilience aide à penser l’évolution. La généalogie entre la résilience écologique et urbaine montre la façon dont le concept de résilience s’est enrichi. Sont enjeux de la résilience les crises profondes, structurelles, l’avenir de nos villes déterminant en réalité l’avenir de l’humanité. Il nous faut donc faire fi de l’ancien clivage entre ville et nature.
Une ville résiliente est interdépendante : elle fait preuve de frugalité, elle a un métabolisme particulier, doit gérer ses déchets et son approvisionnement énergétique en lien avec son ancrage territorial. Elle réduit son impact en s’appuyant sur des ressources locales avant tout. Par ailleurs, la vision d’une ville pérenne nous renvoie à des enjeux patrimoniaux. Or, Vincent Veschambre considère « patrimoine » comme un mot-valise, une notion plastique, une démarche scientifique qui ouvre la discussion. Le patrimoine se distingue fermement de la notion du bâti, de la construction, et même de celle du monument. Il englobe les productions humaines au-delà des constructions et institutions officielles. Autrement dit, le patrimoine fait aussi bien référence au patrimoine matériel qu’immatériel, aux richesses culturelles aussi bien que vivantes.
La permaculture est une discipline qui contribue à la réflexion autour de l’évolution des milieux urbains denses, comme Villeurbanne ou Lyon à l’échelle nationale ou internationale, en s’appuyant sur toutes les ressources du patrimoine. Par exemple, la grainothèque du Rize met en exergue la question du réinvestissement de la ville par le vivant, et plus précisément par le végétal. L’exposition « Résultats des courses » de Villeurbanne, par ailleurs, détaille les enjeux de l’approvisionnement alimentaire d’un territoire, etc.
Une ville résiliente, finalement, est soit non-productrice de déchets, soit productrice de déchets-ressources. La gestion du bâti devient alors une question centrale, car le bâti représente 70% des déchets français. C’est une ressource à interroger comme telle : comment adapter le bâti à la ville résiliente, le reconvertir ? Il faut repenser le secteur du bâtiment avec le bâti en tant qu’énergie grise, à réutiliser, à stocker comme un ancrage majeur de la société dans son territoire et son historicité. La démolition, bien qu’elle réponde à des exigences financières, est-elle vraiment la meilleure solution ? Que peut-on faire d’autre avec ce patrimoine urbain ?
La mémoire de la ville, c’est aussi le vivant au sens de population : le Rize est un bon exemple de la dialectique entre une mémoire très enracinée des habitants et les apports dynamiques des populations migrantes. La résilience, en conclusion, se conçoit pour Vincent Veschambre comme une manière de mobiliser les mémoires pour penser la continuité. C’est la transmission d’une capacité à « faire du bien » dans des contextes variés, ou encore l’appropriation et le partage des patrimoines dans le cadre d’un dialogue commun.
À la suite de son intervention, on demande à Vincent Veschambre de donner un exemple précis d’action participative du Rize autour de la fabrique d’une mémoire. Il répond que le Rize met en musique les politiques municipales sous la forme d’une transition écologique, sociale et démocratique. Le Rize est un tiers-lieu dynamique qui observe et accompagne l’appropriation par les habitants de leurs équipements culturels et de leurs territoires, et donc la construction pleine de leur citoyenneté. Vincent Veschambre donne plusieurs exemples d’initiatives : le zoom sur l’ancienne cité ouvrière Gillet à Villeurbanne, l’opération « Graines de mémoire » (partage du témoignage des habitants sous la forme d’une exposition matérielle et digitale), et la plantation collective de tentes dans un lieu de discussion.
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Table ronde
Introduction de la Table ronde : « Responsabilité sociale et environnementale en pratique dans les bibliothèques »
Cette table ronde, introduite par Raphaëlle Bats, aborde la notion de résilience au cœur des politiques publiques des villes dans le contexte actuel. Au-delà des réflexions sur l’apport de la culture dans les stratégies de résilience, il s’agit de discuter directement avec des bibliothécaires du rôle des bibliothèques dans les stratégies de résilience, là où il ne semble pas évident au premier abord de trouver des structures qui abordent le sujet en tant que tel. Est également pris en compte une autre réalité sociale et environnementale des bibliothèques, celle d’une approche holistique. Elle nous amène à penser le rôle culturel, social, environnemental et politique des institutions culturelles par rapport à la construction et l’évolution de la ville et de la communauté.
Cette table ronde est organisée en deux temps : un temps dédié aux présentations des intervenantes, suivi d’un temps d’échange et de questions.
Présentations des intervenantes
Suite à l’intervention de Vincent Veschambres et aux réflexions qui ont suivi sur la transition écologique, sociale et démocratique de la bibliothèque, Sophie Bobet (de la Bibliothèque de la Canopée à Paris), Mélissa Lalouette (de la Bibliothèque des Champs Libres), et Johanna Ouazzani (étudiante conservatrice DCB29 de l’ENSSIB dont les travaux de recherches portent sur la responsabilité sociale et environnementale des bibliothèques d’établissements Supérieur de Recherche) sont intervenues dans cette table ronde sur les aspects sociaux du rôle de la résilience dans les politiques publiques de villes.
Sophie Bobet
La Bibliothèque de la Canopée se pose comme une bibliothèque verte ; mais comment se manifeste cet engagement ?
La Bibliothèque de la Canopée, anciennement Marguerite Yourcenar, fait partie du réseau des bibliothèques de la Ville de Paris. Avec ses 60 m² de surface, son ancrage territorial au centre du Forum de Châtelet-les-Halles (au sein d’un noyau dense de transports), et ses 4 000 à 5 000 visites par semaine, elle se veut un établissement modèle en matière d’écologie. 21 ETP, 30 000 documents et plus de 210 000 entrées en 2019 : ces chiffres mettent en relief une politique documentaire transversale. En convergence avec sa collectivité, l’établissement est conçu dans une perspective de dialogue avec les publics autour de l’actualité sociale et environnementale qui les entoure, de la détente et des loisirs. La Bibliothèque de la Canopée a en effet adopté un management environnemental inspiré d’une application de la mairie du 2e arrondissement. Cela s’est manifesté par une réflexion durable autour de la plastification des documents en faisant des tests au fur et à mesure, mais également par la valorisation d’un équipement éco-responsable de la structure avec du mobilier et des ouvrages moins nocifs pour l’environnement, où l’on réutilise et répare toujours avant d’envisager le rachat.
Depuis 2018, un projet d’équipe a été mis en place afin de réfléchir à ce qui pouvait et peut encore être amélioré concernant les pratiques internes et écologiques vertueuses à adopter sur le long terme. Ce projet d’établissement « Bibliothèque verte » conjoint avec le secteur culturel (dont les musées) ainsi que le groupe de travail de la DAC, se poursuit sur la période 2019-2021 et réinterroge la question des enjeux durables et de la particularité du circuit du livre. L’établissement propose aussi un livret culturel et écologique global sur la Ville de Paris. La Canopée mélange ainsi l’engagement de ses équipes et de ses collections. Fonds liés à l’actualité écologique, logo propre et programme d’animations pédagogiques sur le recyclage, opérations de sensibilisation… En mars dernier, l’accueil d’une étudiante en Master ayant effectué une étude de terrain et un diagnostic de l’environnement des pratiques professionnelles a permis d’établir trois axes d’amélioration, et notamment la mise en place d’une intervention des usagers dans ce plan écologique. Il s’agissait de les associer au projet dans un esprit de co-construction autour de l’agenda 2030 mais aussi de voir quels sont pour eux les enjeux de la résilience, ce qu’ils veulent voir en bibliothèque à ce propos, en se concentrant à la fois sur les avis des publics lors de l’étude mais également sur les démarches déjà relativisées en interne.
Mélissa Lalouette
L’importance de la sociabilité de la solidarité au sein des bibliothèques : que sont les RDV4C ?
Animatrice territoriale au département des publics et au service Engagement des publics à la Médiathèque des Champs Libres de Rennes, Mélissa Lalouette, en tant que médiatrice culturelle, évoque le volet de la sociabilité et de la solidarité au sein des bibliothèques, et ce au travers des rendez-vous 4C ou RDV4C : Créativité, Collaboration, Connaissance et Citoyenneté.
Ces rendez-vous gratuits, collaboratifs et ouverts à tous permettent de se retrouver régulièrement autour d’un intérêt commun, pour partager ensemble et apprendre sur des sujets gravitant autour de ces quatre thématiques. On y retrouve des conversations en langue étrangère, des ateliers de couture, de cuisine, de recherche d’emploi ou encore des discussions de groupe sur des questions sociales comme le projet « Dessine moi un(e) retraité(e) » ! Les sujets citoyens à évoquer ne manquent pas : collapsologie, zéro déchet, création collaborative à l’image de la revue de BD La Vilaine… Ici, la notion de résilience n’est pas forcément affichée en tant que telle, elle se positionne plutôt comme un rapprochement des bibliothèques avec leurs publics. Mélissa Lalouette rejoint ce que disait Sébastien Maire à ce propos, au niveau de cette approche holistique qui consiste à penser et ré-envisager le rôle social, politique, économique et écologique des institutions culturelles. Il s’agit dans ce contexte de comprendre les constructions de la ville et de sa communauté et de les réunir dans un objectif social et solidaire.
À la question de l’évaluation de l’impact des rendez-vous depuis 2014, notre intervenante répond que le compte des rendez-vous se fait dans des petits carnets constitués chaque année et dans lesquels on collecte les données. Ainsi, de 2014 à 2020, entre 11 et 28 rendez-vous 4C ont été créés, soit plus de 200 rencontres avec une moyenne de 130 participants par semaine. Un portage des rendez-vous a même été effectué en ligne, même si ceux-ci ont souvent lieu dans des endroits variés pour favoriser une appropriation des espaces par les usagers des Champs Libres.
Johanna Ouazzani
Que pourraient faire les bibliothèques universitaires par rapport aux enjeux sociaux et environnementaux en contexte urbain ?
Johanna Ouazzani, conservatrice DCB29 à l’ENSSIB de Villeurbanne, étudie la responsabilité sociale et environnementale des bibliothèques universitaires.
Il est vrai que les bibliothèques universitaires et les établissements de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ne sont pas toujours des acteurs auxquels on pense en premier lieu lorsque l’on évoque les enjeux sociaux et environnementaux du contexte urbain. Pourtant, la France compte 1, 6 millions d’étudiants dans son écosystème universitaire, ce qui constitue un enjeu démographique très important. Depuis environ une dizaine d’années, on voit émerger une responsabilisation accrue des bibliothèques et de leurs acteurs vis à vis de ces problématiques, un mouvement essentiellement porté par les tutelles qui encouragent les « plans verts » (démarches DDRS, soit Développement Durable et Responsabilité Sociale) des universités dans leurs démarches de formation, de recherches ou encore de vie sur les campus. On valorise les actions menées autour d’un développement plus durable, et surtout plus responsable dans le contexte actuel. La bibliothèque universitaire contribue à faire de l’université un espace plus démocratique, un lieu de rapprochement et d’échanges. On y retrouve au fil des années une formalisation de plus en plus précise des objectifs du développement durable via des plans d'actions exemplaires, encore plus récemment avec l’Agenda 2030.
Les bibliothèques universitaires sont elles aussi actrices. Elles disposent d’outils (compétences, espaces, collections, partenariats etc.), qui leur permettent de se positionner dans cette perspective en informant les publics grâce à leur organisation interne : de nombreuses bibliothèques ont déjà réalisé des animations, débats, conférences ou actions liés à ces enjeux prégnants dans notre société. Se pose néanmoins toujours la question de leur légitimité à agir, sans compter le manque de financement, celui-ci étant indépendant de la volonté des structures malgré les récurrentes et régulières actions d’advocacy (plaidoyer). On comptabilise également le manque de temps alloué aux établissements universitaires pour ces sujets : souvent on n’y rencontre pas de bibliothécaires avec des postes dédiés, ceux-ci travaillant actuellement sur les heures supplémentaires de leur temps de travail ou encore à l’occasion d’auto-formations.
Grâce à ces évolutions et avec l’espoir d’un coup de pouce de l’advocacy, qui permet de plus en plus de faire entendre la légitimité des bibliothèques à agir sur ces enjeux sociaux et environnementaux en contexte urbain, la bibliothèque universitaire se montre parfaitement capable de répondre aux enjeux de résilience. Il suffit de ne pas l’oublier.
Temps de questions
RB : Dans vos bibliothèques ou dans les bibliothèques étudiées, quels étaient les concepts utilisés dans les documents cadres pour cadrer la responsabilité sociale et environnementale des bibliothèques ? Est-ce qu’on trouve le terme de résilience ? De durabilité ? D’anthropocène ? De changement global ?
Johanna Ouazzani a pu remarquer que les bibliothèques se positionnent dans la lignée de leur tutelle. Si une université structure sa politique autour du développement durable et des responsabilités sociétales, les bibliothèques vont alors suivre et développer ces notions. Sont rarement évoquées, dans ces politiques, les notions de résilience et de changement global. La notion de résilience apparaît en réalité assez peu. On parle surtout de développement durable et de responsabilité sociétale. Les BU se positionnent dans la lignée de ce que la tutelle entreprend, mais il manque une association entre théorie et pratique. En outre, des questions majeures comme les enjeux du féminisme sont distinguées de la thématique du développement durable, ce qui rend la communication et la visibilité des enjeux plus ardues. Elle donne l’exemple de l’université Laval, au Québec, dans laquelle les choses se passent différemment. Chaque service a mis en place un groupe d’étude sur son impact environnemental. Des objectifs sur trois ans ont ensuite été fixés, avec des indicateurs propres aux spécificités de chaque service.
Mélissa Lalouette explique, quant à elle, que l’équipe des 4C (Connaissance, Citoyenneté, Collaboration et Créativité) ne traite ni ne rencontre ces questions dans des dossiers… La notion de résilience est plus une question gérée par la direction de la bibliothèque ou celle des Champs Libres. Elle est utilisée par le directeur, mais pas au niveau de l’équipe. Peut être que la notion est travaillée inconsciemment.
La bibliothèque où travaille Sophie Bobet s’est appuyée sur l’Agenda 2030 pour construire sa politique et ses actions. Orientée au départ vers l’écologie, une réorientation de cette dernière a dû être faite à la suite d’une enquête auprès des usagers. En effet, d’après cette étude, il apparaît que les usagers souhaitent aller vers une définition du développement durable plus globale. Dans les intérêts des publics, on retrouve en premier l’éducation tout au long de la vie, puis le bien-être et la santé, l’égalité homme/femme et enfin l’écologie. La bibliothèque s’est donc avant tout basée sur les besoins de ses usagers, mais également sur les objectifs de développement durable et le plan de résilience de la Ville de Paris.
RB : Les bibliothèques font-elles donc de la résilience sans le savoir ?
Johanna Ouazzani fait le constat que les formalisations et l’utilisation des concepts clés manquent aux BU. Les objectifs de développement durable souvent utilisés sont ceux liés aux problématiques environnementales. Il est peu question du handicap, des inégalités sociales... L’appropriation des termes est différente pour chacun et cela complique la visibilité des actions menées pour le public.
RB : Et le cas de la BU de Laval ?
Johanna Ouazzani revient sur le cas de l’université Laval, qui a mis en place un plan de développement durable depuis 2010. Les actions y sont structurées différemment qu’elles le seraient en France : il y a une réelle volonté politique de mener une réflexion sur le développement durable, dans un microcosme sur lequel il est plus facile d’agir. La présidence a mis en place des groupes de travail pour mener des réflexions sur le coût des activités et l'impact environnemental de la bibliothèque. Il s’agit d’intégrer les personnels en les faisant réfléchir sur eux-mêmes et leurs pratiques. La bibliothèque a consacré du temps et des moyens à sept actions distinctes. Parmi elles, la suppression de serveurs physiques pour la bibliothèque et le développement d’une application mobile pour aider les usagers à localiser les documents. Raphaëlle Bats ajoute que l’Université Laval a mis en place une fiche de labellisation des événements écoresponsables qui permet la reconnaissance de sa responsabilité et d'obtenir des tarifs réduits sur la location des salles d'événements.
RB : Comment le département du RDV4C discute-t-il avec la ville sur les questions des migrations, des seniors, de l’emploi, du chômage ? Y a t-il des échanges entre la bibliothèque qui agit et la ville qui met en œuvre des politiques sur ces champs ?
Mélissa Lalouette explique que les 4C n’ont pas beaucoup de lien et de discussion avec la ville. Il n’y a pas de correspondance avec les politiques de la ville, mais quand ils le peuvent, les 4C essaient de poser leur rendez-vous en lien avec la programmation. Les 4C se présentent plutôt comme des niches, pas uniquement portées par la bibliothèque, mais aussi le Musée de Bretagne, l’Espace des sciences. Ils investissent par exemple les publics âgés dans l’activité citoyenne avec l’atelier « Dessine moi un(e) retraité(e) ».
RB : Il semble que se dessine en creux un manque de visibilité vis-à-vis des politiques publiques, la nécessité d’un plaidoyer. Les problématiques du care sont un enjeu important.
Sophie Bobet contextualise l’action de la Canopée, un établissement très récent et moderne localisé dans le centre commercial des Halles, à Paris. L’équipe montre une forte volonté de porter des projets pour améliorer leurs pratiques professionnelles, vers une action plus écologique et vertueuse. Cet axe « Bibliothèque verte » rejoint le travail lancé par la DAC (Direction des Affaires Culturelles). Des collaborations sont mises en place, telle que pour le livret « Culture, économie circulaire » présenté prochainement. La médiathèque s’engage à travers une politique documentaire et des fonds tournés vers l’écologie avec un logo propre. Le tout est encadré par un système de management environnemental, qui s’organise autour de trois axes d’amélioration, grâce à une programmation culturelle riche et un diagnostic préalable de l’environnement professionnel.
RB : Nous visons donc une convergence entre politique interne et municipale. Comment se passent les échanges pour la Canopée ? Y a-t-il bien besoin d’un plaidoyer ? Le rôle de la bibliothèque est-il pleinement reconnu ?
La reconnaissance municipale est acquise. Il y a eu un soutien immédiat des politiques lorsque la Canopée a porté un projet de grainothèque, mais il a fallu un peu de temps pour que les collègues s’emparent de ce nouveau service. Pour Sophie Bobet, il est une évidence que les bibliothèques ont un rôle important à jouer dans l’action écologique. Cette conviction est ce qui permet d’obtenir un appui par la suite.
RB : Cependant, la notion de résilience est-elle utilisée comme telle dans votre projet d’établissement ? Qu’est-ce qui fait outil structurant ?
D’après Sophie Bobet, la prise de conscience écologique n’est pas uniquement le fait du développement durable, mais elle est plus globale : l’écologie est la quatrième préoccupation la plus importante des publics (après l’éducation tout au long de la vie, le bien-être et la santé, et l’égalité hommes/femmes). Les bibliothèques cherchent avant tout à anticiper les évolutions sociétales, plutôt qu’à suivre l’impulsion politique. Le plan de résilience de la Ville de Paris arrive en second plan.
RB : Pour en revenir au rapport au public, comment les RDV4C révèlent les choix des personnes qui créent les groupes et font émerger l’endroit où se situe l’onde de choc (c’est-à-dire l’impact que l’onde a sur les personnes) ? Comment se décident les groupes ? Qui en est à l’origine ? La bibliothèque ou le public ?
Mélissa Lalouette explique que la constitution des groupes se fait à la demande des usagers. Les personnes qui souhaitent créer des RDV4C sollicitent les coordinateurs 4C. Pour que le groupe puisse voir le jour, il faut au moins que trois personnes soient intéressées par l’initiative. Ensuite vient un rendez-vous préalable avec les initiateurs des RDV, au moins un coordinateur et un « compagnon » (usager expérimenté des RDV) pour déterminer les points clés du RDV (jouer, échanger, discuter), rédiger un texte pour définir le groupe, et trois mois après créer un logo pour officialiser le RDV pour lancer la communication sur les réseaux sociaux et autres outils de communication numérique (le site des Champs Libres, le blog des RDV4C).
RB : Cela illustre que la bibliothèque prend en compte les perceptions et les ressentis des citoyens sur ce qu’ils vivent et leur manière d’habiter le monde. Comment la relation avec les publics s’organise-t-elle dans les BU ? Quels dialogues avec les étudiants ?
Johanna Ouazzani répond que peu de dialogues sont menés par les BU mêmes, mais une étude récente a été menée par la REFEDD concernant les attentes des étudiants sur les questions environnementales. Il en ressort que les étudiants attendent à 48% que les associations étudiantes mènent ce type d’action. Les étudiants sont donc prêts à s’engager par d’autres voies que celles de l’administration officielle. De manière générale, les étudiants s’expriment de plus en plus. Néanmoins, ils font remonter leurs besoins en BU de manière informelle, non-structurée.
RB : C’est ce que disait Sophie Bobet sur le système de management environnemental : il y a un besoin d’évaluation à l’heure actuelle. Comment évalue-t-on son impact environnemental et sociétal ? Quels indicateurs pour cela ? Quelles actions dans le futur ?
Sophie Bobet indique que la Canopée s’est inspirée d’un retour d'expérience de la mairie du 2e arrondissement : un état des lieux suivi de la mise en place d’un plan d’actions prioritaires (prévention des risques, habilitation, etc). Les axes principaux sont la gestion des déchets quotidiens, la gestion des documents désherbés, et la gestion des certifications d’ouvrages. De plus, l’équipe a auparavant étudié la durée de vie de son équipement pour évaluer s’il fallait se tourner vers un type d’équipement moins nocif pour l’environnement. La clause environnementale est prise en compte dans tous les achats, puis considérée lors de l’utilisation des biens (par exemple : peut-on réparer le mobilier plutôt que de le remplacer ?)
RB : Très intéressant, je conseille aux auditeurs de consulter le blog de la Canopée sur le SME (Système de Management Environnemental). Mélissa Lalouette, je reviens vers vous. Y a-t-il eu une mise en place de jeux d’évaluation de l’impact des RDV4C ? Des retours des usagers ?
Mélissa Lalouette répond qu’ils ont une évaluation manuelle dans des carnets, où ils comptent approximativement le nombre de personnes et le nombre de RDV constitué chaque année. Des débuts en 2014 à 2019-2020, les rendez-vous sont passés de 11 à 28. La récurrence des rencontres et le nombre de participants ont également augmenté de façon exponentielle. Avec le Covid, il a fallu bien sûr adapter et faire des RDV en ligne, mais les chiffres concrétisent le succès du projet 4C. Il y a également eu des impacts concrets du projet 4C sur l’ensemble des Champs Libres, car ils ont par exemple été consultés pour faire partie du groupe de travail en vue de la rénovation du hall pour en faire une place publique.
RB : C’est un concept, la place civique de la bibliothèque, qui doit plaire à Pascal Desfarges. Justement en lien avec l'appropriation de l’espace : y a-il une appropriation des savoirs aussi ? Dans quelle mesure ces projets produisent-ils des savoirs ? Un accompagnement documentaire des bibliothèques est-il mis en place ?
Sophie Bobet explique que la bibliothèque a un blog sur les retours d’expérience et les retours des usagers qui vont être impactés. La démarche est documentée avec la rédaction d’un livret « Bibliothèque verte : bonnes pratiques ». L’équipe implique également les responsables pour pouvoir mettre en place le management environnemental et que les normes soient respectées par tous. Les rapports produits par les stagiaires vont être publiés pour être utiles à d’autres acteurs.
RB : La production des savoirs est-elle donc réinvestie dans la bibliothèque ?
Mélissa Lalouette dit que les partages qui ont lieu sur place sont visibles, soit les RDV4C exclusivement. D’autres usagers viennent ponctuellement sans forcément être inscrits pour solliciter des rendez-vous. Par ailleurs, les rendez-vous RennesCraft invitent les usagers à construire et explorer ensemble : par exemple, avec une exposition temporaire qui proposait une visite virtuelle de la ville de Rennes en mode « Minecraft », avec un casque. Il y a aussi des rencontres spécifiques qui se font sur place, tel que le partage de la Fête des Morts par un goûter, un moment piñata, ou encore la sélection de coups de coeur d’un club de lecture féministe.
RB : Question commune à toutes : est-ce que les bibliothèques se revendiquent de cette responsabilité ? Se qualifient-elles d'engagées voire d’éthiques ?
Johanna Ouazzani ne l’a pas entendu formellement, mais c’est sans doute la prochaine étape. Toutes les bibliothèques le sont d’une façon ou d’une autre. C’est une question de formalisation, de langage, il faut mettre les actions en avant auprès des publics pour se revendiquer engagés.
Sophie Bobet pense que c’est une forme d’engagement personnel. Ses collègues souhaitent participer à l'expérience pour réviser les pratiques. De là à s’engager politiquement, ce n’est pas certain : c’est plutôt un accompagnement des changements de la société. Les collections sont achetées pour mettre en avant des thématiques prégnantes avant même qu’il s’agisse d'un « phénomène de mode », donc il s’agit vraiment d’un engagement personnel de l’équipe.
RB : En conclusion, il y a donc une convergence entre les engagements individuels, personnels, les collections (qui peuvent elles aussi dialoguer entre elles), et les politiques publiques… La bibliothèque est au cœur des transformations urbaines.
Sketchnote de Manuka pour la table-ronde |
Conclusion
Cette matinée s’est tenue entièrement à distance, en accord avec son thème : nous avons fait preuve de résilience et réfléchi aux meilleures façons de rendre cette journée d’étude la plus sûre et intéressante possible dans le contexte actuel.
Nous avons pu considérer la résilience des bibliothèques sous l’angle politique, social, économique, patrimonial, organisationnel et même sous la forme d’un engagement personnel des équipes ou des usagers. Il n’est plus à prouver que les bibliothèques ont un rôle majeur à jouer dans la résilience urbaine, bien que les modalités de leurs actions divergent selon l’établissement auquel on s’intéresse. Le champ des possibles reste vaste… Nous espérons que ces nombreuses pistes vous auront inspirés.
À noter cependant que le concept de résilience, polyforme et mouvant, s’affirme comme extrêmement complexe. Il dépasse les axes que nous avons choisis ici, en connaissance de cause. La résilience est systémique : le champ d’action des bibliothèques, aussi large puisse-t-il être, ne suffit pas à en rendre compte. Si elles ont leur rôle à jouer, il ne s’agit pas non plus de leur incomber une trop lourde responsabilité. Par exemple, sous l’axe des territoires, la résilience envisagée par les bibliothèques s’inscrit dans des dynamiques au niveau mondial, national, régional et départemental aussi bien qu’urbain. Il faut, pour comprendre pleinement les actions des bibliothèques, étudier leur environnement dans son ensemble sachant qu’il subit lui-même nombre de facteurs évolutifs et de tensions. La résilience des bibliothèques ne s’organise pas seule. Néanmoins, elle dénote aussi, nous l’avons vu, de leurs capacités à influencer leur environnement en retour : elle est à prendre en compte activement.
Références bibliographiques
Bénabent Juliette, 2021, Et si trop de résilience tuait la résilience ? [en ligne] Disponible sur :
https://www.telerama.fr/debats-reportages/et-si-trop-de-resilience-tuait-la-resilience-6773778.php
Laurentin Emmanuel,2020, Qui a les moyens d’être résilient ? [en ligne] Disponible sur :
Piron Sylvain, 2018, L'Occupation du monde, Bruxelles, Zones Sensibles, 2018, 237 p.
Et pour aller plus loin, vous pouvez consulter :
le guide thématique de l'Enssib sur les bibliothèques et le changement climatique : https://enssib.libguides.com/c.php?g=682683
la bibliographie sur la résilience proposée par les étudiantes du master PBD : https://enssib.libguides.com/ld.php?content_id=33390359
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