Atelier #BiblioCovid19 : épisode 5 : Du confinement à la bibliothèque de l'après !
Bonjour,
Voici le texte d'introduction de l'épisode 5 du séminaire #biblioCovid19, qui se tiendra ce jour, le vendredi 19 juin.
Le titre de l'épisode est : Du déconfinement à la bibliothèque de l'après, mais après écriture de ce texte, je me rends compte que j'aurais dû l'appeler : Du confinement à la bibliothèque de l'après.
J'ai pu refaire une vidéo, mon ordinateur étant réparé depuis les derniers épisodes.
et voici le texte.
***
Bonjour,
Je suis ravie de vous retrouver pour ce 5ème épisode du séminaire
biblio covid. Le dernier avant l’été.
Ce séminaire a eu un succès inattendu dont une des
conséquences a été que j’ai été interviewée à plusieurs reprises le présenter.
Or à chaque fois, une mpeme question m’a été posée : est-ce que ce
séminaire permet de voir émerger la bibliothèque du monde d’après ? A
chaque fois j’ai botté en touche : il est trop tôt, je n’ai pas assez d’éléments,
j’ai quelques idées, mais personnelles, etc. Il est vrai que cette « focalisation
sur le monde d’après »[1]
ne cesse de m’interroger. Qu’entendons-nous par monde d’après ou tout
simplement par l’après ?
Dans un article du monde, Nicolas Truong[2]
dit, je cite : « Il n'est pas jusqu'à la focalisation quasi immédiate
de la presse et de l'intelligentsia sur « le monde d'après » qui ne soit pas le
signe d'une difficulté, voire d'une incapacité à penser l'événement. ».
Il parle de penser l’événement du confinement, de la pandémie, de la crise,
etc. C’est le terme d’événement qui m’intéresse ici. Il me semble en effet qu’à
vouloir penser l’après, on oublie de se demander après quoi, après quand ?
et après quel événement, qui est peut-être ce point du quoi et du quand duquel
il nous faut repartir pour définir l’après qui pourra être visé.
Alors qu’est-ce qu’un événement ? Je me
suis intéressée à cette question dans ma thèse[1] dont je
me permets de reprendre en les adaptant à notre contexte des extraits. Qu’est-ce
donc qu’un événement ? Le Larousse, parce qu’autant commencer par une définition
de dictionnaire, donne trois définitions en vérité de l'événement :
- · "Tout ce qui se produit, arrive ou apparaît"
- · "Fait d'une importance toute particulière"
- · et enfin "Fait marquant de l'actualité".
En suivant la première définition, on peut convenir que tout
fait événement. Le confinement est un événement, indubitablement. Il s’est
produit quelque chose.
En suivant la seconde définition, nous pouvons également
convenir que ce confinement est événementiel, puisqu'il a eu une importance
pour tous et toutes, et dans le cas qui nous intéresse pour les
bibliothécaires.
Enfin, on peut se demander si ce confinement a été un
fait marquant de l'actualité. Là encore aucun doute. Pour la bibliothèque
certainement, par rapport à sa propre actualité et les questions qu’elle se
pose sur l’exercice de ces missions et pour ce que l’événement va dessiner de
pratiques, de nouvelles pratiques.
Dans ces trois définitions, le rapport au temps reste centré
sur le présent : ce qui arrive, ce qui marque l'actualité (le temps immédiat).
L'événement semble alors être ici et maintenant ; pas demain, pas après.
Et de fait, le déconfinement apparaît comme un nouvel événement, qui arrive,
qui est important, qui marque l’actualité, et qui efface l’événement précédent.
Non seulement, la trace de événement précédent semble recouverte par ce
nouvel événement, mais encore le nouvel événement semble n’avoir pas tenu
compte de l’événement précédent.
Nous pourrions dire que nous n’avons pas eu le temps de
prendre la mesure de l’événement qu’est le confinement. Nous allons de
bouleversement en bouleversement avec la même habituelle vitesse que nous avions
pourtant fortement critiquée pendant le confinement. On peut finalement dire
que sur la ligne du temps, l'événement est un point. Cette ponctualité se retrouve
finalement dans les propositions actuelles que nous faisons. Le confinement est
déjà du passé, de l’avant. L’après serait donc maintenant ? Cette
situation de déconfinement ? Plus encore, l’après serait toujours déjà
passé ? Car ce point qu'est l'événement a un double rapport à la ligne du
temps. D'abord, on ne peut l'isoler de la ligne, qui va du passé au futur ; une
fois l'événement passé, il n'est plus décelable dans la ligne. Rien ne
ressemble à un point plus qu'un autre point sur une ligne droite. À condition
que la ligne soit droite.
Or telle est la question : est-ce que l'événement casse la
ligne droite, marque ou introduit une rupture ? Non pas rupture de la ligne,
mais rupture du sens, reconfiguration des données permettant de donner corps à
cette ligne de temps, de l’inscrire dans l’espace et non pas seulement dans le
temps. Avons-nous profité de cet événement pour lier l'événement présent et
immédiat à un temps qui s'étire et qui prend place dans l'espace. On parle ici
d’événement comme d’une déviation.
Le fait est que le Larousse propose deux autres définitions
de l'événement :
- · l'une en lien avec la physique : Phénomène considéré comme localisé et instantané, survenant en un point et un instant bien déterminés
- · et l'autre en lien avec la psychologie : Tout ce qui est capable de modifier la réalité interne d'un sujet (fait extérieur, représentation, etc.)
Il convient peut-être de réunir ces deux définitions. Le
confinement est certes un point et un instant, comme tout ce qui advient, mais
que vaut-il si on ne peut le penser comme un point de déviation, qui inscrit
dans le temps la transformation de ceux qui sont traversés, marqués, touchés
par cet événement. Si le confinement doit avoir un impact, la possibilité d’un
après, ce sera non pas parce qu'il a eu lieu, mais bien pour ce qu'il pourra
produire du fait d'avoir eu lieu. Le confinement devrait être ce fait marquant
de l'actualité ici d’une bibliothèque, qui du fait d’avoir connu le confinement
ne voit plus les choses comme avant, voit l'événement la saisir et la
transformer.
Contre l'inscription dans l'événement ici et maintenant, cette
définition nous place dans le champ de l'expérimentation, dans lequel espace et
temps sont fortement entrelacés. Jacques Rancière, dont je parle à chaque fois,
fait glisser la question de l'émancipation du temps vers l'espace[3].
Pour le philosophe, le temps exclut quand l'espace crée une coexistence16
à penser la transformation non plus dans un temps à venir, mais dans un espace
ici et maintenant. Il écrit : « J'ai pensé à tous ces discours de la fin
et à ce qu'ils permettent de comprendre, à savoir que le discours de la
promesse était aussi toujours un discours du diffèrement de la promesse. »17
S'il y a un impact à chercher à mesurer ce sera donc
celui-ci : l'événement a-t-il traversé la bibliothèque ? ou pour le reformuler
: la bibliothèque a-t-elle traversé l'événement ? est-elle passée de l'autre
côté du miroir ou de l'armoire (Lewis Carroll ou C.S. Lewis selon votre
préférence de lecteur de la traversée initiatique) ? L’événement est une
véritable expérience politique, qui transforme et ouvre un nouveau regard sur
le monde. Ce qui se joue dans l'expérience est ailleurs : dans la possibilité
d'un nous, dans le développement de compétences qui pourront demain être
saisies à nouveau, etc.
La valeur de l'événement est donc que, bien que point et
instant, il s'inscrit dans une chaîne du temps et de l'espace de transformation
et de déviation. Évaluer la portée de cet événement sur les bibliothèques
devrait prendre en compte sa capacité à déplacer celle-ci dans le temps et dans
l'espace.
Ceci pour dire qu’à la question sur la bibliothèque de l’après,
je ne sais pas encore répondre. Il me semble qu’il nous faut pour cela étudier :
1/ la bibliothèque dans l’événement : ce qui a été fait
par les bibliothèques pendant ce confinement : et je ne parle pas que des
services proposés, mais aussi des échanges entre pairs, des décisions et
organisations internes, du travail des associations, etc.
2/ la bibliothèque dans ses transformations liées à l’événement :
ce qui voudra dire de travailler sur les limites que les bibliothèques se
reconnaissent elles-mêmes.
3/ la bibliothèque dans son rapport aux transformations
induites par l’événement sur la société : ce qui voudra dire travailler
sur les limites de la société et sur l’engagement de la bibliothèque face à ces
limites.
En d’autres termes, on ne pourra pas se satisfaire d'une
pure description des actions menées pendant le confinement et pendant le
déconfinement. Il s’agirait plutôt de voir comment une institution culturelle
va s'engager dans de nouvelles lignes de temps, de nouvelles pratiques qui
seront révélatrices de cette déviation-expérience-transformation, et qui seront
susceptibles de mettre en question le mode de fonctionnement actuel de la
bibliothèque.
Dans l’atelier aujourd’hui, nous allons chercher à
identifier ces points de rupture créés par et grâce à l’événement. Il s’agira d’une
certaine manière d’en faire des intentions. Je reviens bien sûr à la notion d’intention
dont nous avons parlé lors de l’épisode 1. Rappelez-vous, John Dewey, l’intention,
la démocratie, la résolution de problèmes, l’enquête… Peut-être est-ce l’occasion
de vous dire u peu plus sur cette notion.
Parler d'intention plutôt que de choix n'est pas anodin, surtout
quand on parle d’une institution. L'intention est un concept qui a une
acception toute particulière en psychosociologie et en sociologie des
organisations. On parle ainsi de l'intention dans l'étude des changements et
notamment en écho à ce qu'on appelle le changement planifié, et qui fait du
changement le cœur de l'intention. Le changement réfère à une perception d'états différents
dans le temps, perception qui précède toujours une évaluation des différents
attributs du changement : la rapidité ou la lenteur, la continuité ou la
discontinuité, l'harmonie ou le conflit, etc.[4]
On sous-entend dès lors qu'il y a pour l'acteur une situation problématique qui
appelle un changement et que la méthode choisie est intentionnelle au sens où
elle vise ce changement. Si donc nous partons à la recherche d’intentions
aujourd’hui, c’est que nous visons un changement en réaction à une situation qu’il
nous faudra expliciter. Situation dont on se rappellera que sa description
gagne à être pensée en termes de vulnérabilités.
Plus encore, l'acteur en question n'est pas tant un individu
ou une institution isolée qu'un collectif réuni justement à la fois par la
situation problématique et par l'intention de la résoudre. Il sera donc
important de travailler également sur les autres acteurs avec lesquels
construire ce changement. Dans le champ des bibliothèques, le concept
d'intention commence à émerger, et ce avec un lien fort avec celui de
participation. Outre-Atlantique, plusieurs textes usent de la notion de
bibliothèque intentionnelle, comme une nouvelle méthode de management[5] où l'équipe
est en mesure de faire émerger les problèmes, de façon à pouvoir les résoudre, sans
focaliser sur les résultats quotidiens, mais avec plutôt une attention forte
sur ce qui gêne la réussite et la poursuite de ces résultats. Résultats,
entendus comme la réalisation des missions de la bibliothèque. Il ne faudra pas
oublier dans notre exploration ce collectif qu’est l’équipe, mais en prenant
garde à ne pas réduire ce travail interne autour des intentions à une simple
visée d'efficacité et de lutte contre la résistance au changement. Le point
important de cette bibliothèque intentionnelle est qu’elle est apprenante et qu’elle
repose sur l’acquisition de compétences par les bibliothécaires pour pouvoir
répondre à cette intention. C’est donc un aspect important de notre atelier que
de définir les compétences qu’il faudra développer pour transformer la
bibliothèque.
Par ailleurs se développe une autre acception de la
bibliothèque intentionnelle, toujours en Amérique du Nord, qui s'intéresse
plutôt à la résolution du problème avec les usagers[6],
notamment pour tout ce qui est la conception de services. On n’oubliera donc pas
dans notre atelier le travail à mener avec les usagers, mais encore les partenaires,
les autres institutions d’un même territoire, les habitants, etc. pour mener à
bien cette intention.
Voilà le programme du jour. Étudier l'intention d'une
bibliothèque, c'est donc à la fois déceler ce qui lui apparaît comme une crise,
comme un problème, et voir en quoi sa réponse ouvre des espaces de création
d'un collectif, de réponse commune, de transformation des valeurs et de
compétences.
Avec cet atelier, nous faisons le pari que cet événement est
un point qui va laisser une trace, qu’il va s’institutionnaliser, et qu’il nous
faut dès lors regarder en face ce qu’il appelle de changement ici et maintenant,
pas après.
Merci,
Raphaëlle
[4]
Marquita Riel. _Pratiques de changement collectif et individuel de 1960 à
nos jours. fr. In: Historique
et Prospective du
Changement Plani_é. Ed. by Roger Tessier and Yvan Tellier. PUQ, 1990,
pp. 57_88. isbn: 978-2-7605-2064-6, p. 60
RISWS Approach. en-US. 2017
[6]
Voir Julka Almquist et al. The Intentional
Library: Creating A Better User Experience With Service Design And Design
Thinking. ALA 2017, 2017 ou encore Marie D. Martel. La "Bibliothèque
Intentionnelle" et Le Co-Design. Communication. 2eif-sib 2017, 2017
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