Séminaire #BiblioCovid19 : J'ai vu un sanglier dans la rue ; bibliothèques et changement climatique
Bonjour,
Ci-dessous le texte d'introduction de l'épisode 6 du séminaire "Les bibliothèques en temps de crise : le cas de la covid19". Le titre de l'épisode est : "J'ai vu un sanglier dans la rue : les bibliothèques et la transition écologique et solidaire".
Si vous préférez écouter la vidéo plutôt que lire le texte, voici la vidéo.
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Bonjour à tous et toutes,
Pour ce sixième épisode du séminaire
BiblioCovid19, je vous propose que nous parlions de changement climatique.
Peut-être vous demandez-vous ce que le changement climatique a à voir avec le
confinement, qui a suscité ce séminaire ? Peut-être vous demandez-vous ce que
le changement climatique a à voir avec les bibliothèques ? Ce sont de bonnes
questions et légitimes questions et nous allons tâcher d’y apporter quelques
premières réponses.
Commençons déjà par nous demander ce que
le changement climatique a à voir avec le confinement. Celui-ci a été
l’occasion d’un certain nombre de prises de conscience en matière écologique.
D’abord la présence des animaux dans les villes désertées par les voitures et
par les humains
(on a vu circuler un grand nombre de
vidéos sur le sujet. En voici deux https://twitter.com/AndrewStuart/status/1243329253288169473?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1243329253288169473%7Ctwgr%5Eshare_3&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.nytimes.com%2F2020%2F04%2F01%2Fscience%2Fcoronavirus-animals-wildlife-goats.html
et https://twitter.com/MatWeiman/status/1249292472443908097?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1249292472443908097%7Ctwgr%5Eshare_3&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.francebleu.fr%2Finfos%2Finsolite%2Fvideo-a-boissy-saint-leger-les-cerfs-prennent-les-rennes-de-la-ville-en-plein-confinement-1586705130
)
a révélé combien notre propre présence
est contraignante pour les autres espèces animales. Ensuite, le confinement a
conduit une partie des citoyens qui peuvent se permettre se genre de
considération à avoir un sursaut de moindre consommation et à éviter de sortir,
à économiser ce dont on se nourrit, à limiter sa consommation parce qu’elle
paraît futile en des temps de crise ou parce qu’elle obligerait des
travailleurs à risquer leur santé pour nous livrer des biens dispensables.
Enfin, le fait de se défaire des emballages en ramenant les courses a conduit à
prendre conscience de la masse de ces plastiques et cartons et à favoriser les
achats en vrac.
On peut dire que le confinement a
facilité la prise de conscience sur des aspects de notre vie relatifs à ce
qu’on appelle l’écologie et qu’ici nous définirons comme une attention portée à
l’équilibre entre l’activité de l’homme et les conditions d’évolution de ce
qu’on appelle la nature : la faune et la flore aquatiques et terrestres, comme
également les espaces dits préservés et naturels.
Poursuivons notre exploration en
observant les autres prises de conscience suscitées par le confinement.
L’isolement des personnes, soit du fait d’une solitude qui est d’habitude
brisée par le milieu du travail ou par les interactions quotidiennes dans les
magasins, soit du fait d’un manque d’accès à des outils numériques, a été
particulièrement manifeste pendant cette crise. De même, les inégalités très
fortes qui traversent notre société ont été exacerbées pendant cette crise :
qu’il s’agisse d’avoir accès à un espace correct pour le confinement ou qu’il
s’agisse de pouvoir se nourrir à sa faim en l’absence des cantines. De
nombreuses actions de solidarité, notamment de voisinage, se sont mises en
place pendant le confinement, laissant entrevoir que la sociabilité n’avait pas
totalement disparu de notre société. Et dernier point, ce confinement a mis en
évidence que nos vies se jouaient à toute allure, en course constante et
stressante.
Ces éléments ne concernent pas ici ce
qu’on appelle l’écologie, mais ce qu’on appelle l’environnement, entendant par
là l’ensemble de ce qui joue sur nos conditions de vie. On parle donc d’une
prise de conscience tout simplement de nos conditions d’existence quotidiennes.
Bruno Latour (voir Où Atterrir : https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-O___atterrir__-9782707197009.html#:~:text=Pour%20contrer%20une%20telle%20politique,publique%20mais%20aussi%20ses%20enjeux.
) définit le climat comme : « les rapports des humains à leurs conditions
matérielles d’existences ». En d’autres termes, nous avons pu voir pendant le
confinement que nos conditions matérielles habituelles sont inégalitaires,
occasionnent de la douleur (physique ou psychique), ont un impact évident sur
les conditions d’existence des autres espèces vivantes, etc., et que donc notre
climat de vie est en crise.
Finissons notre tour exploratoire de nos
prises de conscience dernière en pointant que le rapport entre changement
climatique et pandémie n’est plus à faire. En effet, la pandémie a permis une
prise de conscience plus globale sur le lien entre notre mode de vie et de
consommation mondialisé et l’émergence de maladies infectieuses émergentes
(MIE), aux importantes conséquences sanitaires, sociales et économiques (voir https://www.lemonde.fr/planete/video/2020/04/19/pourquoi-nos-modes-de-vie-sont-a-l-origine-des-pandemies_6037078_3244.html).
La crise que nous traversons est certes d’ampleur inédite, mais il ne s’agit
pas de la première pandémie que nous connaissons, et encore moins de celle de
la famille des “zoonoses”, c’est-à-dire des maladies infectieuses qui se
transmettent de l’animal à l’homme, comme les grippes aviaires ou encore le
SIDA. Plusieurs articles publiés dans la revue Nature (voir Allen, T., Murray, K.A., Zambrana-Torrelio, C. et al. Global hotspots and correlates of
emerging zoonotic diseases. Nat Commun
8, 1124 (2017). https://doi.org/10.1038/s41467-017-00923-8
et Jones, K., Patel, N., Levy, M. et al. Global trends in emerging
infectious diseases. Nature 451, 990–993 (2008)) pointent du
doigt la responsabilité humaine de l’apparition de ces maladies et prédisaient
même l’apparition imminente de futures pandémies, à l’instar de David Quammen,
qui dans Spillover, parlait déjà en 2013 du “NextBig One”. De la domestication
animale à l’empiètement sur les territoires de vie sauvages de nombreuses
espèces, l’homme s’expose avec une proximité toujours plus importante à de
nouveaux agents pathogènes.
C’est gai, n’est-ce pas ? Je vous l’avais
dit que c’était un séminaire sur les bibliothèques en temps de crise, non ? Car
vous l’aurez compris, nous sommes en crise ! Mais attention, il faut bien
comprendre que la crise n’est pas nouvelle. Cette emprise de l’homme sur la
nature est devenue une ère géologique spécifique dénommée “anthropocène”, et
est devenue le synonyme de nombreux dérèglements, aussi bien écologiques que
sociaux et économiques. En d’autres termes de dérèglements climatiques. Le changement
climatique a donc une double spécificité qu’il convient de comprendre : d’une
part ce n’est pas le changement n’est pas nouveau, et ce qui le rend dramatique
relève aussi bien de son accélération que de sa négation et d’autre part, il ne
concerne pas que l’écologie mais bien l’ensemble de notre environnement. Parler
de changement climatique revient à parler de changement global.
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Une fois ceci posé, il convient de se
demander si nous devons parler de lutte contre le changement climatique. A mon
sens, il ne s’agit pas de lutter contre le changement climatique dans l’idée de
revenir à un âge d’or dont on ne saurait dire à quel siècle il se situerait,
mais bien de prendre conscience de ce climat de vie et de lutter pour instaurer
un nouveau climat.
En ce sens, certains
parlent de transition écologique et solidaire pour signifier qu’il faut engager
les humains et leurs institutions dans une transformation qui ne serait pas
uniquement écologique (lutte contre le réchauffement) ou pas uniquement solidaire
(lutte contre la pauvreté) mais qui lie les deux axes. L’Agenda 2030 de l’ONU
propose le même cheminement de pensée avec une liste de 17 objectifs à
atteindre, qui couvrent aussi bien la lutte contre la pauvreté, l’amélioration
des conditions de production et de consommation de nourriture, l’amélioration
de la santé et du bien-être, l’accès à des conditions favorables
d’apprentissage et d’éducation, et notamment pour les filles et les femmes, la
lutte contre la discrimination, la transformation des villes en espaces
sécurisant pour tous, la possibilité de participer à la politique et à la
justice, et en même temps l’amélioration de la maitrise de l’énergie et de
l’assainissement de l’eau, la responsabilisation de la consommation, la
protection des faunes et flores aquatiques et terrestres, etc.
En d’autres termes il ne faut pas lutter
contre le changement climatique, mais bien au contraire il nous faut vouloir
transformer notre climat global pour ne laisser de côté aucune des relations
que nous entretenons à nos conditions de vie : santé, alimentation, niveau de
vie, éducation, consommation (de biens, d’énergie), etc. Et ce d’autant plus
que le changement s’accélère et que les conséquences du climat actuel sont bien
trop dramatiques pour qu’on n’y fasse pas face.
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Revenons aux bibliothèques. Dire que les
bibliothèques auraient un rôle à jouer dans ce travail de
transformation/adaptation/transition signifie reconnaître aux bibliothèques
qu’elles ont un rôle à jouer dans l’évolution de notre société. Je vous ai déjà
dans l’épisode 1 de ce séminaire (https://raphaellebats.blogspot.com/2020/04/des-services-aux-besoins-decentrer.html
) quelle était ma conception du rôle de la bibliothèque par rapport à
l’évolution de la société. Je le décrit comme une participation à la résolution
de problèmes et de crises du vivre-ensemble, de crise de la possibilité d’avoir
une existence commune sur un territoire partagé.
Or la transformation de notre climat (au
sens global) multiplie les situations de crise : possibilité de survivre (se
nourrir tout court puis se nourrir convenablement, être en bonne santé),
conservation des identités (on peut regarder à ce sujet ce que deviennent les
peuples arctiques en lisant notamment le magnifique ouvrage de Natassja Martin
les âmes sauvages (https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les___mes_sauvages-9782707189578.html)
ou on peut relire ces mots de Bruno Latour « découvrir en commun quel
territoire est habitable et avec qui le partager » (toujours dans Où atterrir),
etc.), possibilité de ne pas faire que survivre (petite référence en passant au
roman Station Eleven d’Emily st Mandel https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/station-eleven-9782743637552),
etc.
Il ne s’agit pas de penser que la
bibliothèque joue sur tous les niveaux, il s’agit de penser que dès qu’il y a
une crise la bibliothèque doit jouer son rôle. Et son rôle c’est d’émanciper,
de permettre à chacun de trouver les moyens de participer à la construction du
vivre ensemble. Il n’y a aucun intérêt à prendre l’occasion des crises pour
réaffirmer notre rôle, mais il convient d’assumer un rôle qui en vérité
n’existe que lorsque nous sommes dans une société qui accepte son évolution
constante et donc qui accepte d’être régulièrement questionnée par des crises.
Une société démocratique, comme la décrit John Dewey (http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-public-et-ses-problemes
) pour lequel vous connaissez mon
attachement, est une société qui accepte la mise en évidence de problèmes, de
conflits, de crises, et qui s’ingénie à donner les moyens à chacun de s’engager
pour résoudre ces problèmes.
A nous de voir comment les bibliothèques
vont pouvoir jouer leur rôle dans des sociétés démocratiques appelées plus que
jamais à se renouveler.
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Plusieurs approches sont possibles.
La première est de s’appuyer sur les
outils de définition et d’évaluation des actions à mener pour améliorer la
situation globale.
Dans un article de l’ouvrage “vers des
bibliothèques globales” (https://www.cairn.info/vers-la-bibliotheque-globale--9782765414216.htm
), Joachim Schöpfel et et Jean-Pierre Vosgin proposent d’étudier la
contribution des bibliothèques à ces transformations en terme de performance
globale des bibliothèques en s’appuyant sur l’Agenda 21, grand frère de
l’Agenda 2030 de l’ONU. Il s’agirait de mesurer l’engagement de la bibliothèque
en terme de :
- Performance sociale : amélioration
de la qualité de vie des agents de la bibliothèque
- Performance sociétale :
amélioration de la qualité de vie dans la société
- Performance écologique :
protection de l’environnement naturel
- Performance commerciale :
développement du secteur d’activité : innovation, etc.
- Performance économiques : les
activités liées aux questions économiques : marchés, etc.
Il s’agirait donc de mesurer l’action de
la bibliothèque avec des indicateurs relatifs à ces 5 champs.
La bibliothèque peut également se donner pour objectif et engagements d’agir sur les 5 P du développement durable de l’ONU : People, Prosperity, Planet, Partnership, Peace. Je vous mets une petite image réalisée par le GDRC : Global Developpement Research Center, qui lui même vise 5 champs d’action : environnement, monde urbain, économie, communauté et information.
source : GDRC : https://sdg.gdrc.org/image/128479353317 |
Suite à la publication de l’Agenda 2030,
la New York Library Association a engagé, dans le même mouvement de mesure et
d’engagement, une certification “bibliothèque durable” qui s’appuie sur 12
catégories. Sept concernent les questions directement écologiques :
- Engagement en termes d’organisation
- Energie
- Déchets et
recyclage
- Commandes
- Transport
- Sols et
terrains
- Eau
5 concernent les questions plus
directement liées au secteur d’activité, ici de la bibliothèque :
- Partenariats
- Engagement
communautaire
- Justice
sociale et résilience
- Finances
durables
- Collections
Enfin, en Europe, l’association EBLIDA
travaille avec son groupe ELSA à définir des indicateurs spécifiques pour les
bibliothèques pour chaque cible des objectifs de développement durable. A
l’Enssib, un travail de recherche sur ces indicateurs et plus généralement
l’éthique et la bibliothèque est également en cours.
Toutes ces approches de mesure et
d’évaluation sont absolument fondamentales, pour définir les actions menées,
les actions à mener et pour assurer une présence de la bibliothèque dans les
discussions autour de l’agenda 2030 en termes de politiques publiques.
Cependant, nous nous proposons
aujourd’hui de prendre une autre approche, qui ne serait pas de dire que la
bibliothèque doit être durable, même si elle doit l’être et qui plus est l'être au sens anglophone de
sustainable donc de capable d’adaptation et de résilience. Disons plutôt aujourd'hui que la
société fait face à une crise que la bibliothèque se doit accompagner. Pour
cela, je vous propose qu’on ne parte pas des outils de définition d’actions de
développement durable, mais qu'on parte de la bibliothèque elle-même pour voir ce que la crise à laquelle elle fait face appelle en elle de transformation.
Et pour cela, un bon chemin est d’arpenter celui défriché par David Lankes,
enseignant-chercheur en sciences des bibliothèques aux USA.
***
Pour David Lankes (https://mitpress.mit.edu/books/atlas-new-librarianship), le rôle de la bibliothèque est d’améliorer la société par la création de connaissances dans la communauté. Par communauté on entend ici l’ensemble des personnes susceptibles d’être touchées par les actions d’une bibliothèque : son public et son non public, ou pour le dire autrement l’ensemble des citoyens de ce qui fait cité : une ville, une interco, un département, etc. bref, un territoire partagé. Dans son atlas de la nouvelle bibliothéconomie, Lankes liste 4 facettes de l’action à mener. Je vais les présenter sous la forme de 4 questions, que je vais commenter en lien avec d’une part les enjeux qui à mon sens questionnent actuellement notre manière de mettre en oeuvre ces facettes de notre métier et d’autre part la question du changement climatique et de ses spécificités.
1.
Quelle
vision du monde (et donc quelles connaissances) aidons-nous à construire ? il s’agit ici de l’action de la bibliothèque en termes d’accès à
l’information et à la documentation, en d’autres termes c’est l’action en
termes de collection : sa constitution et son organisation. Il me semble
qu’aujourd’hui cette facette de l’action des bibliothèques doit être
questionnée à travers la notion de légitimité. Quelles sont les connaissances
que légitime la bibliothèque ? Qui ou quoi fait autorité ? Définir le champ des
autorités permet de voir quelle vision du monde porte la bibliothèque. Parler
de légitimité revient évidemment à parler d’une collection qui ne soit pas
construite uniquement autour de connaissances consacrées par l’édition, mais
aussi autour de connaissances construites collectivement avec/par les usagers
ou avec/par les citoyens. Un des enjeux de la constitution d’une vision du
monde est de savoir comment identifier les lieux de production de savoirs qu’on
définira comme légitimes. Or la spécificité du changement climatique est que
les discours sur celui-ci relèvent de plusieurs champs disciplinaires :
géologie, chimie, sociologie, anthropologie, économie, géographie, etc. mais
aussi de plusieurs sources : chercheurs, associations, gouvernements (locaux ou
nationaux), les institutions internationales et bien sûr les habitants, dont
les savoirs mobilisés sont particulièrement activés en ce qui concerne les
questions environnementales et écologiques notamment. De plus, la temporalité
des discours sur le changement climatique est fondamentale, tant l’évolution de
la situation est rapide. L'obsolescence des informations rend nécessaire un
autre niveau de réflexion sur la légitimité de ces collections. A nous de voir
dans l’atelier comment renouveler le sens de la collection.
2.
Quelles
conversations sur ces connaissances aidons-nous à se tenir ? Il s’agit ici de la capacité de la bibliothèque à manifester et
activer le dialogue entre les idées. Pour cela les bibliothèques ont deux
méthodes : la médiation et l’animation. Je distingue les deux, au sens où pour
moi toute animation est événementielle et synchrone, ce qui n’est pas le cas de
toutes les médiations qui peuvent prendre une forme asynchrone (qu’on verra
aussi bien dans les tables de présentation que dans les webzines, etc.).
Médiation comme animation participent à la circulation des idées, non pas en
mettant à disposition (comme dans la facette 1), mais en confrontant et en
interpellant. Il me semble qu’aujourd’hui cette facette de l’action des
bibliothèques doit être questionnée à travers celle de neutralité et plus
généralement à travers celle de conflit. Les bibliothèques peuvent elles, au
sens double de capacité et de pouvoir, éviter de médiatiser une vision du monde
qui n’est pas de parti pris. Est-ce que la responsabilité de la bibliothèque
envers la société ne demande pas à ce qu’on fasse fi d’une neutralité, qui a
toujours été plus une posture de défense en cas d’attaque qu’une construction
réelle ? Par exemple, peut-on aujourd’hui faire objectivement circuler des
informations sur la négation du changement climatique ? Plus encore, la bibliothèque peut-elle éviter
les sujets de conflits : ceux de la société en général (la 5G aujourd’hui),
ceux de son territoire en particulier (à vous de compléter la parenthèse…), si
elle veut mener à bien sa mission de conversation sur les connaissances ? La
spécificité du changement climatique est qu’il demande aux habitants d’accepter
des transformations déjà là, à venir ou à mettre en place forcément anxiogènes.
Par nature, travailler sur le changement climatique appelle à accepter qu’il y
ait émotion, qu’il y ait conflit dans les échanges, chose que les institutions
organisant du débat cherchent en général à maîtriser totalement. A nous de voir
dans l’atelier comment assumer notre rôle de facilitateur de conflits.
3. Comment facilitons-nous l’accès à ces connaissances ? Il s’agit de l’action de la bibliothèque en matière de facilitation de
la possibilité pour chacun de prendre part à cette circulation de
l’information. En d’autres termes, c’est l’ensemble de ce qu’on appelle les
littéracies (voir le travail d’Olivier Le Deuff pour une définition : https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00286184/
). La bibliothèque travaille sur différents niveaux de facilitations à la
maîtrise des connaissances : savoir les lire, savoir les réutiliser, savoir en
produire, savoir les partager. On pourrait parler ainsi d’éducation aux médias
et à l’information comme type d’action phare de cette facette. Dans le cadre du
changement climatique, cet enjeu de facilitation est décuplé par le fait que ce
changement ne cesse pas, que son analyse repose sur des savoirs scientifiques
en construction (voir l’anthropocène), que ce qui a un impact sur le changement
n’est pas seulement ce qui existe déjà aujourd’hui, mais aussi ce qui s’ajoute
à nos existences : les inventions, par ex la 5G. En d’autres termes, la notion qui complète
l’action de facilitation est celle de l’ignorance et son corollaire
l’incertitude. Comment faciliter la compréhension, la reconnaissance de
qualité, l’appréciation de la valeur d’une information quand le socle de base
est celui de l’ignorance (Voir le livre de Daniel Innerarity sur la démocratie
et la connaissance : https://www.pug.fr/produit/1221/9782706122736/democratie-et-societe-de-la-connaissance
) ? Il me semble qu’il y a là un véritable enjeu pour la bibliothèque à être un
lieu de savoir en construction et un lieu d’apprentissage de l’ignorance et de
sa valeur (ce qui me fait penser aussitôt à Ursula Leguin et son superbe roman
La main gauche de la nuit : https://www.livredepoche.com/livre/la-main-gauche-de-la-nuit-le-cycle-de-hain-tome-4-9782253113164
). A nous dans l'atelier de définir notre fonction de révélateur d'ignorance.
4. Comment inciter chacune et chacune à prendre part à la création/circulation de connaissance ? Il s’agit ici de l’action de la bibliothèque en matière d’accueil et de la possibilité d’offrir accès aux trois premières facettes à toute la communauté. On parlera aujourd’hui d’inclusion pour signifier le travail mené par les bibliothèques pour accueillir le plus grand nombre, pour tisser des liens avec les publics présents (quel que soit leur rapport et leur usage de la bibliothèque), pour créer des espaces rassurants pour les habitants. Cette question de l’accueil, nous l’avons déjà travaillé pendant l’épisode 3 avec la notion de care et de vulnérabilités, de même qu’avec l’épisode 2 et la notion d’hospitalité. Je n’ai pas changé d’avis et je pense toujours que ces deux notions nous permettront de renouveler les réponses que nous pouvons faire sur cette facette en faisant de l’attention et du souci de l’autre un moteur important dans la définition des modalités de diffusion de nos actions. La question du changement climatique ne renouvelle pas en soi l’accueil, mais toute vision du monde proposée par la bibliothèque nécessite un travail spécifique sur la réception, l’implication, la mise en action, etc. en termes de vulnérabilités. En d’autres termes, les vulnérabilités dont on doit tenir compte sont aussi bien celles liées à la bibliothèque elle-même et celles liées au thème du changement climatique lui-même. A nous dans l'atelier d'ouvrir les yeux sur ces vulnérabilités.
Pour conclure, nous pourrions dire que le
rôle de la bibliothèque face à cette crise du changement climatique est donc
toujours le même : améliorer la société par la mise en circulation de
connaissances. Mais on le voit également le changement climatique amène à faire
bouger les lignes de nos actions habituelles. Que peuvent donc faire les
bibliothèques et dans quelles mesures affronter le changement climatique
revient à accepter de se transformer, peut-être radicalement ? L’atelier que
nous conduirons dans le séminaire aujourd’hui nous permettra d’y voir plus
clair.
Merci de votre attention. J’espère que ce
petit texte vous aura mis en appétit pour notre atelier qui se tiendra cet
après-midi.
En attendant celui-ci, je remercie déjà
les animateurs et animatrices qui m’aideront à l’animer et je remercie tout
particulièrement Johanna Ouazzani (DCB, Enssib) avec qui j’ai conçu l’atelier et qui a
largement contribué à l’écriture de ce texte, par nos échanges ou par l’ajout
d’éléments qui lui (le texte) faisaient vraiment défaut.
A tout à l’heure,
Raphaëlle
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